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Jumana El Husseini par Anne Mullin Burnham

photo JDans un appartement paisible et rempli de lumière à l'écart d'une des rues les plus animées du 16e arrondissement de Paris, Jumana El Husseini recrée dans ses peintures les images de la Palestine de son enfance. Des pinceaux et des couteaux à palette sont disposés, tels une nature morte, dans un pot en cuivre sur une table contemporaine, tandis que de large miroirs en bois incrustés de coquillages et de délicats morceaux de verre rose de Syrie rappellent ses origines orientales. Dans la cour extérieure, le pépiement d'oiseaux parisiens évoque le souvenir d'étés passés à Jéricho et de balades sur le Mont des Oliviers.

Jumana El Husseini a grandi dans la maison de son grand-père, première demeure construite en dehors des anciens murs de Jérusalem. Pour elle, l'exil a commencé de façon inattendue : en 1947, en visite pour Noël chez l'une de ses sœurs mariées à Beyrouth, elle a vu la guerre éclater, et son séjour dans cette ville se prolongea jusqu'à son mariage et la naissance de ses enfants. Loin de Jérusalem, elle accepta Beyrouth comme sa seconde patrie.

Quelques cours pris par hasard dans le domaine de l'art permirent à Jumana El Husseini d'accéder à un nouvel univers. Dans l'art, explique-t-elle, elle a trouvé une consolation à la perte de sa patrie. « Les toiles me permettent de retrouver la Palestine. Je revis ma jeunesse, mes premiers souvenirs : les oiseaux, les fleurs, les papillons, la verdure, la mer Morte, les fenêtres, les portes, le ciel de Palestine. C'est là que je me suis véritablement découverte. »

Après avoir peint pour elle dans un premier temps, puis exposé ses œuvres à Beyrouth, Jumana El Husseini vit sa première exposition internationale se tenir à Londres en 1965. Depuis, ses œuvres ont parcouru le monde arabe, l'Europe, les Etats-Unis et le Japon. Expositions.
Aujourd'hui, elle est reconnue en tant qu'artiste professionnelle. Ses œuvres remportent un grand succès et ont été acquises par plusieurs collectionneurs à travers le monde.

Comme s'il tournait les pages d'une autobiographie, le visiteur découvre les tableaux les uns après les autres, chacun représentant une étape de son odyssée artistique et émotionnelle et capturant les aspects de la Palestine qui lui manquent encore aujourd'hui et qu'elle redécouvre à travers son imagination. « La Palestine est ma source d'inspiration », déclare-t-elle, « quels que soient mes sentiments : joie, tristesse, force ou souffrance ».

Ses premières œuvres frent réalisées sur des toiles carrées entourées de larges bordurs figurant des cadres, qu'elle appela « cadres du souvenir ». Dans ces cadres, telles des scènes aperçues au travers d'une fenêtre, Jumana El Husseini, travaillant directement sur la surface, a saisi ses souvenirs personnels : des éléments architecturaux de sa maison de Jérusalem, des fleurs, des arbres, des minarets et des visages. Chaque élément est réalisé avec un profond respect ; des formes simples sont combinées à des couleurs vives figées dans des décors stylisés et intemporels. Des motifs traditionnels suggèrent un certain lyrisme qui évoque un passé mystique, presque mythique.

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De retour à Jérusalem en 1967, Jumana El Husseini décida de représenter la ville directement, plutôt que de continuer à s'inspirer de ses souvenirs. A partir de ce moment-là, elle emporta un bloc à dessin lors de chacune de ses visites, pour retenir les détails de l'architecture ancienne au moment où les nouvelles constructions commençaient à modifier l'aspect des villes, se renseignant sur les coutumes et le folklore. « J'ai eu l'impression de préserver un mode de vie qui était menacé », déclare-t-elle.

A partir de ses croquis, elle peint des villes de façon caractéristique : Jérusalem avec ses dômes et ses minarets imposants, Jéricho avec son mélange de maisons en bois et en terre et sa végétation tropicale, les dômes de Jaffa aux nuances orangées symboliques, les fenêtres typiques de Haifa, les tuiles colorées de Madina ou les anciennes maisons en bois de La Mecque.

Utilisant des couteaux à palette et d'autres outils, ou appliquant la peinture directement à partir du tube et incorporant du sable ou d'autres matériaux, Jumana El Husseini a développé des tableaux à surfaces texturées, l'empâtement créant des effets à trois dimensions souvent mis en valeur par des feuilles d'or ou d'argent. Les parties texturées côtoient parfois des zones lisses et dépourvues de relief pour un meilleur rendu.

Certaines de ses représentations urbaines les plus belles et évocatrices sont des symphonies de blanc sur blanc, où la texture et les feuilles d'or créent de subtils jeux d'ombres et de lumières. « Jérusalem » (1980) et d'autres œuvres de cette série illustrent son évolution : d'un style détaillé et chargé à un rendu plus épuré et plus caractéristique de la peinture. L'objectif est d'imprégner les sujets d'une sérénité et d'une spiritualité qui rappelle la définition de Wordsworth à propos de sa conception de la poésie : « le souvenir revécu dans la tranquillité ».

Bien qu'elle dise que son code de symbolisme soit personnel, l'iconographie de Jumana El Husseini n'est jamais didactique et toujours subordonnée à ses préoccupations de peintre. Le cheval, de par sa force et ses facultés d'orientation, est hautement symbolique : « Où que vous le placiez, il retrouve son chemin ; il ressent la terre ». Les papillons sont libres, comme les oiseaux de Jéricho ; un tigre dans un enclos de cactus (méthode traditionnelle de contention du bétail en Palestine) symbolise les esprits fiers piégés et contraints ; les grenades, dans le cadre du mariage, symbolisent la chance et la fertilité.


Très sensible à son environnement et aux événements politiques du Moyen-Orient, les principaux changements dans le style de Jumana El Husseini sont souvent déclenchés par des événements de l'actualité. Lorsque la guerre civile éclata à Beyrouth en 1975, elle fut trop bouleversée pour pouvoir peindre. Pendant des mois, elle pratiqua la broderie, représentant des symboles et l'histoire de sa famille sur des châles, reprenant les teintes des pierres précieuses des costumes traditionnels palestiniens. Le chêne de sa maison de Jérusalem, vieux de près de 2 000 ans, y est représenté, de même que des cyprès, des épis de blé, des papillons, des fleurs et des dessins géométriques traditionnels. Ces réalisations, dont les bordures portent les noms et les événements finement inscrits, peuvent être portées et sont des témoignages d'un mode de vie aujourd'hui disparu.
Lorsqu'elle éprouva des difficultés à se procurer des toiles et de la peinture à l'huile, elle passa à l'aquarelle. Un jour, après avoir accidentellement déchiré le papier sur lequel elle travaillait, elle utilisa de la colle pour le réparer et commença à expérimenter l'utilisation conjointe de peinture pour aquarelle et de peinture à l'huile, séparées par une épaisseur de colle, sur une même œuvre. La colle donna alors l'effet d'un mode de vie préservé, à la manière d'un tableau présenté sous verre dans un musée.

Dans toutes les œuvres picturales de Jumana El Husseini, la couleur exprime toute une gamme d'émotions. Ironiquement, toutefois, ses derniers tableaux, dans lesquels elle explore pour la première fois l'abstraction, sont majoritairement noirs. Mais en y regardant de plus près, des variations de ton et des formes amibiennes de différentes couleurs sont visibles.

Une nouvelle fois, les événements politiques ont conditionné ce changement de style. « La révolte des enfants m'a conduite à tout laisser tomber et à me tourner complètement vers l'art abstrait », déclare-t-elle. « Les tableaux sont noirs, mais je suis dans ma période la plus gaie. J'ai le sentiment qu'une résurgence découle de tout ce que je fais actuellement. »

Dans le tourbillon du monde artistique parisien, avec ses nombreuses galeries et ses expositions à succès, Jumana El Husseini suit une voie discrète en restant fidèle à ses souvenirs et à son art. Tout comme les petites voix des oiseaux au-dessus du vacarme de la circulation, elle délivre un message fort et unique qui dépasse les symboles personnels pour créer un langage visuel commun.



Ecrit par Anne Mullin Burnham,
Directrice des projets du Forum Internationale de la Poésie, et un auteur freelance spécialiste dans les arts, le voyage, et la grande cuisine.

Photographie par Nik Wheeler

L'article original en anglais.